Avril 2009 - Perou - La Cordillera Blanca... " La demeure d'un ciel !" (1)



Cordillera Blanca. Longtemps, nous nous sommes demandés d'où venait ton nom. Rien n'était blanc autour de nous ; nous ne voyions que fumées et poussières. Nous avons même douté de ton existence. Pourtant, quelque chose nous poussait à venir te voir et te toucher.Alors, pour venir jusqu'à toi, nous avons quitté le monde des hommes. Nous avons quitté Trujillo, sa jolie place, et ses pains dorés. Nous avons quitté les longueurs planes du bitume.
Nous sommes au milieu de rien, et une piste part sur le côté. A l'entrée, une maisonnette et un gardien. Que garde-t-il ici ? Le chemin part à l'horizon sans se préoccuper de nous. Nous prenons de l'eau, car nous sentons qu'elle se fera rare dans ce décor de désert. Nous sommes seuls. Enfin ! Le silence comme troisième compagnon.
Pour venir jusqu'à toi, nous avançons cahin-caha sur une terre moins lisse, nous dormons sous un pont, nous traversons mille tunnels. Et plus nous avançons, plus tu sembles t'éloigner. Comme si tu t'amusais à éprouver notre foi. Notre traversée du désert à nous... Bientôt, la piste n'en est plus une : le soleil chauffe notre échine et nous peinons à avancer sur les pierres montagneuses qui tombent à nos pieds. Nous progressons, pas à pas, tels deux Sisyphe, poussant nos vélos et ne regardant même plus le ciel. Nous savons pourtant que tu es là, quelque part, mais si loin encore.
Pour venir jusqu'à toi, nous nous balançons sur les roues d'un camion, ivres de cahots et de soleil persécuteur ; nous nous fondons de nouveau dans l'agitation de la ville et des fumées nauséeuses ; nous voyons le soleil partir, las sans doute de notre résistance. Mais toi tu veux toujours plus, tu veux voir si nous sommes capables de nous salir et de mettre les pieds dans la boue pour toi. C'était mal nous connaître de penser le contraire. Alors nous roulons dans la fange et les eaux boueuses ; nos vélos grincent sous l'assaut de ton sable argileux ; un de leurs câbles lâche prise, déçu de cette maltraitance. Mais nous continuons, nous ne voulons pas reculer. Et sans doute ne le veux-tu pas toi non plus, car, malgré tes caprices, tu t'arranges pour mettre les bienfaiteurs de ta nuit sur nos chemins. On le sait bien, nous, que Maria vient de toi ; que c'est toi qui l'a envoyée pour nous rassurer un peu. Elle, là, au bord de la route, comme si elle nous attendait. Elle qui, comme un guide, comme un relais, nous mène dans sa petite maison, nous sert une soupe chaude, et borde notre lit. Sa foi à elle ne fait pas de doute. Et nous continuons, veste sur le dos et bonnet sur la tête. Une autre piste s'ouvre : un désert froid cette fois.
Pour venir jusqu'à toi, nous laissons couler la pluie sur nos joues sèches, et buvons l'eau de tes rivières. Nous écoutons le silence ; notre souffle devient plus humble. Nous ne te lançons aucun défi ; nous venons te voir, voilà tout. Sûrs de trouver en toi un nouveau trésor : la demeure d'un ciel.
Alors tu as fini par croire en nous toi aussi, et tu nous as ouvert tes portes !
Au petit matin, un rayon de soleil nous dévoile la blancheur de tes neiges. Nous sommes à 4300 mètres : nous apercevons devant nous l'escalier qui mène à ta cime. Nous sourions de tes bras enfin tendus. Nous avançons ! Sur le chemin, tu nous révèles tes joyaux : d'étranges plantes longilignes, dont toi seule a le secret[2], nous invitent à regarder le ciel. Là-haut, tes pointes épurées tricotent de nouvelles nuées. Sur ton tapis de mousse, trois lamas nous regardent, un peu surpris, peut-être jaloux de voir que tu as ouvert tes portes à des inconnus. Des chiens fous dévalent la montagne en nous apercevant : au loin le chaume d'une hutte où vit leur maître sans âge. Des bergers à cheval passent leur chemin ; nous les avons à peine entendus. " Qué tal, Amigo ?" Dans tes bras, nous ne sommes donc plus des gringos ; mais des amis, des frères humains.
Nous avançons. Lentement. Je sens mes gestes appesantis. Je m'arrête souvent. Je bois ton eau glacée. Je respire. L'écharpe de nuages cache maintenant le soleil, et j'ai froid. Nous avançons, et peu à peu tu te dévoiles, tu dénudes tes épaules blanchies par la nuit passée. Une mule attend. Nous sommes là, enfin chez toi. Devant nous, une lumière incroyable fait miroiter ton corps dans les veines d'eau des pozzis. 4800 mètres de beauté. Le ciel peut être fier de sa demeure.
Mais lui aussi veut être sûr de notre détermination. Bientôt, la neige fondue colore le noir de nos gants et se colle à nos roues. Nous ne sentons plus nos doigts, et nos larmes de douleur ne les réchauffent pas. Mais nous ne t'en voulons pas, Cordillera, ni à toi, ni au ciel. Nous savons bien que les trésors de ce monde ne se servent pas sur un plateau d'argent. Nous savons qu'ils sont faits de moments uniques, comme ceux que nous venons de partager avec toi. Car jamais nous n'oublierons que tu existes. Et lorsque nous serons de nouveau en bas, lorsque nous serons de nouveau des gringos dans une société qui ne te connaît plus, alors nous penserons à toi. Nous nous souviendrons que tu nous as ouvert les bras, et nous serons heureux !
[1] Titre emprunté à une chanson de Camille...
[2] Ces plantes, dont j'ai oublié le nom et que vous voyez sur les photos, ne poussent, paraît-il, que dans cette zone précise de la planète...

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