C'est à reculons que Blanche-Neige et son Capitaine ont redescendu les marches de la Cordillera. La demeure du ciel est froide, mais elle est magnifique. Et vide. La belle et son prince, rien d'autre : un vrai décor de conte de fée ! Mais le problème de nos héros, c'est qu'ils n'ont pas encore appris à se nourrir d'amour et d'eau fraîche, et que le traître appel du ventre les oblige à rejoindre la demeure... des hommes. Des vrais, ceux qui sont faits de chair et d'os, ceux qui crachent et rotent à même la rue (culture, culture...). Finis les lamas sauvages et la neige épurée, place à la gadoue ! De la boue à n'en plus finir... La saison des pluies n'a visiblement pas dit son dernier mot, et arrose non seulement le chapeau d'Indiana, mais aussi la piste qui fait office de route. La piste ou ce qu'il en reste, à savoir une traînée liquide et maronnâtre, parfois profonde de trente centimètres, et qui prend un malin plaisir à jouer aux sables mouvants avec nos roues et nos chaussures. Schplok, schplok, schpolk. C'est peu dire que les souliers de Blanche-Neige sont crottés ; elle a de la boue jusque dans les cheveux ! Mais comme elle sort tout droit des contes de fée, les gens ne s'y trompent pas : non, non, il n'y a pas à dire, Blanche-Neige est... blanche ! Et ici, on n'aime que le marron, couleur de la terre oblige... On la matraque donc de "gringa" à la pelle : les enfants, - qui visiblement n'ont jamais lu de contes de fée -, hurlent à se couper les cordes vocales, et les jurons de Haddock n'y font rien. "Allons, mon chéri, ce n'est rien : ces petits manquent d'éducation, voilà tout." GGGGGGRRRRRRRRRRRRRRIIIIIIIIIIIIINNNNNNNNNNNNGGGGGGGGGGGGGGGGGOOOOOOOOOOOOOOO!!!!!!!!!! Blanche-Neige vire au rouge. Sous son calme apparent, elle n'en peut déjà plus de ces petits schtroumfs morveux. Devant elle, trois gnomes font semblant de lui tirer dessus avec des kalachnikovs, et, alors qu'elle passe feignant l'indifférence, voilà qu'ils se mettent à la poursuivre un bâton à la main ! Non, trop c'est trop ! Le couple Jones retrouve les réflexes de sa vie antérieure : un bon professeur ne doit pas s'énerver, mais expliquer calmement. Indiana revêt son costume de Bond imperturbable et commence à faire la leçon. Aux enfants, et aux parents. "Non, non, non, ça n'est pas bien le racisme." On se cache, on nous écoute vaguement, on nous dit "oui, oui", on glousse, et on conclut : "Et nous, si on vient dans votre pays, c'est la même chose ! ". Evidemment. Heureuse médiocrité humaine qui fait son lit de toute terre ! Nous repartons, en nous disant que nous avons versé une goutte dans l'océan. L'océan de boue qui nous attend toujours, et qui n'a pas daigné séché le temps de la discussion. Dix mètres, vingt mètres, cent. Nous nous éloignons au rythme d'un escargot sur une planche de fakir. Puis schplok ! Une pierre tombe dans la marre de devant. Re-schpok : une autre à côté du soulier crotté. Re-re-schplok : le chapeau d'Indiana est touché ! On est en train de nous bombarder depuis la montagne !!!!! Ah, les saligauds ! Même pas foutus de se montrer ! Le Capitaine hurle et nous prenons la fuite, aussi rapidement que le permet la gadoue, la gadoue, la gadoue...
Le moral dans les chaussettes mouillées, nous cherchons un refuge. Un peu refroidis par cette expérience hautement humaine, nous demandons tout de même l'hospitalité dans ce qui fait office d'une église adventiste (nos préjugés ont depuis longtemps été lessivés, rincés et séchés au soleil). Là, une gentille sœur nous accueille, et donne du frère Indiana à la pelle. Ca change du gringo. Le problème, c'est qu'elle est persuadée que Frère Haddock est venu tout droit des States pour jouer au missionnaire (ça doit être la barbe "capitaine": ça fait toujours de l'effet...). Alors forcément quand on lui dit que, ben non, en France, on est plutôt catholique, elle tire la gueule, la sœur. Et elle hésite un peu à nous donner la clé du lieu béni. Mais sœur Blanche-Neige y va de sa naïveté humaniste : "Ben, c'est pas grave, on est tous frères, non ?" A l'heure qu'il est, elle a un peu de mal à déglutir la princesse. Sœur adventiste sourit, faut bien, et nous donne ses dernières recommandations : ne pas oublier de prier l'ange à tête de lion à six ailes (pas besoin d'être dans un conte pour avoir de l'imagination...), et se méfier de Satan, on sait jamais. Merci, on sait.
Enfin au calme, les matelas étendus sur la terre battue sèche, les Jones respirent. Et se remettent de leurs émotions. On souffle, on vocifère, on se tait aussi. Et on réfléchit. Y a pas à dire, c'est pas cool, le racisme. Alors Blanche-Neige se dit que forcément, avec un nom pareil, c'est presque de la provoc' que de se promener ici. Il faudrait un truc moins voyant, plus discret, quoi. Elle fait des essais : Verte-Neige ? Non, c'est mauvais pour le teint... Rouge-Neige ? Non, ça fait trop coco, et on sait comment ils ont fini... Jaune-Neige ? Non, ils seraient capables de l'appeler "bol-de-riz"... Non, non, non et non. Il faut quelque chose de plus neutre, de plus passe-partout, plus "latino" peut-être ? Ah ! Ca y est, elle a trouvé : "Monica-Neige"!!!! Ca, ça sonne bien ! Plus personne ne voudra l'appeler "gringa" avec un nom pareil... Indiana a la canine sceptique. "Et pourquoi pas "Jeannie-Neige", mon amour ? "... ... ... "PARCE QUE!!!!!"
La nuit passe ; les vélos sont tout propres (ô joie de la gadoue engluée nettoyée chaque jour...) et dorment. Indiana rêve aux cowboys et aux indiens ; Monica-Neige rêve de château en Italie.
Au réveil, il pleut. Ah bon ?
Et on repart. Les souliers crottés se gargarisent du nouveau bain de fange. Sur le bas-côté, les cochons rient de bonheur en voyant de nouveaux adeptes. Deux-cent mètres sur le vélo, deux cent mètres à côté. On pousse, on glisse, on schplok, on cherche le bon itinéraire. On avance. Un peu. Devant nous, un camion est embourbé. On s'appuie sur sa carcasse pour passer le mur de boue qui l'entoure. On souffle. On s'encourage. On se décourage. Beaucoup. A peine vingt kilomètres en deux heures... Il en reste cent. A force de soupirs songeurs, Indiana a presque la tête d'un philosophe... Blanche-Neige s'inquiète. Alors, quand un 4X4 arrive, on espère ! Et on tend le pouce ! Les policiers s'arrêtent : "Si vous voulez, on peut vous déposer jusqu'au prochain village ?" Il faudrait être idiots, ou alors de vrais super-héros, pour refuser. On vire le chien de la remorque, et on y met vélos, sacoches, et héros de pacotilles. Et là...
C'EST LE DRAME !
Nous sommes tombés sur un chauffeur fou, tout droit sorti des Studios Pixar !!! Il croit que son 4X4 est un bolide super sonique, et fait fi de tous les nids de poule (qui sont plutôt des nids de tyrannosaures d'ailleurs...)! Blanche-Neige s'agrippe à son Capitaine, et les deux sursautent, se cassant le coccyx sur la tôle... La princesse pleure de panique en voyant la route défiler à une vitesse supranaturelle, et Indiana se tient la sixième vertèbre : ce serait quand même ballot de la perdre après tout ça... Reste plus qu'à prier le lion à six ailes, on sait jamais, on a vu des miracles partout. Et puis, merde à la fin, les contes de fées, ça ne peut pas se finir comme ça !
Les fées susmentionnées ont dû nous entendre, et, par souci du travail bien fait, ont validé le miracle. Nos deux héros descendent du bolide en titubant, plus ivres qu'après une soirée d'étudiants en droit.
Ouf.
Il reste donc 70 kilomètres. Que nous ferons à vélo. Dans la gadoue, mais en vie. Ca tombe bien, parce que maintenant, la route monte... quelques neuf-cent mètres de dénivelé à se cogner. Bagatelles !
En haut du sommet, nous nous arrêtons manger. L'appel du ventre, toujours. Là, quelques femmes et un bambin. Pas de "gringo" à l'horizon. Ah, si, quand même, un groupe d'adolescents avec la bêtise propre à leur âge : "fjdkqslmogidqhjo, Gringo!, jdqeisqnioenfioa, Gringa !" Mais bien sûr... Nous mangeons donc. Le riz blanc de midi. Mmmmmmmmmmmmm.... Puis, allez savoir pourquoi, les femmes ont envie d'être gentilles, et commencent à nous parler. D'où on vient, tout ça, tout ça. Enfin, les choses sérieuses commencent : "Vous voulez pas emmener la petite avec vous ?". Les Jones se regardent, dubitatifs. C'est une blague ? Mais la Péruvienne n'a pas l'air de rire. Et finalement, nous non plus. Elle réitère la question ; nous faisons "non" de la tête ; et mangeons notre riz blanc. Piètre consolation de la misère humaine.
Le lendemain, Blanche-Neige et Indiana recevront d'autres propositions, se feront appeler "gringo, gringa" cent fois par heure, feront deux, trois leçons de savoir-vivre, commenceront à comprendre ce que veut dire "harcèlement moral", entameront deux, trois discussions, perdront de l'énergie pour rien, glisseront dans la boue, perdront de l'énergie tout court, descendront deux milles mètres d'altitude en 5 heures, éviteront de justesse les chiens qui leur mordent les sacoches, et finalement, péteront les plombs. Car ce ne sont pas de vrais super-héros. Et que s'il y a bien quelque chose d'insupportable sur cette basse terre, c'est la bêtise humaine.
Bref, à l'heure qu'il est, nos deux héros en toc sont avachis sur le lit d'un petit hôtel, ils ont les yeux qui piquent et les chaussettes mouillées. Mais ils gardent espoir, parce que, vous savez quoi ? Sur la couverture du lit, il y a un lion à six ailes...
Le moral dans les chaussettes mouillées, nous cherchons un refuge. Un peu refroidis par cette expérience hautement humaine, nous demandons tout de même l'hospitalité dans ce qui fait office d'une église adventiste (nos préjugés ont depuis longtemps été lessivés, rincés et séchés au soleil). Là, une gentille sœur nous accueille, et donne du frère Indiana à la pelle. Ca change du gringo. Le problème, c'est qu'elle est persuadée que Frère Haddock est venu tout droit des States pour jouer au missionnaire (ça doit être la barbe "capitaine": ça fait toujours de l'effet...). Alors forcément quand on lui dit que, ben non, en France, on est plutôt catholique, elle tire la gueule, la sœur. Et elle hésite un peu à nous donner la clé du lieu béni. Mais sœur Blanche-Neige y va de sa naïveté humaniste : "Ben, c'est pas grave, on est tous frères, non ?" A l'heure qu'il est, elle a un peu de mal à déglutir la princesse. Sœur adventiste sourit, faut bien, et nous donne ses dernières recommandations : ne pas oublier de prier l'ange à tête de lion à six ailes (pas besoin d'être dans un conte pour avoir de l'imagination...), et se méfier de Satan, on sait jamais. Merci, on sait.
Enfin au calme, les matelas étendus sur la terre battue sèche, les Jones respirent. Et se remettent de leurs émotions. On souffle, on vocifère, on se tait aussi. Et on réfléchit. Y a pas à dire, c'est pas cool, le racisme. Alors Blanche-Neige se dit que forcément, avec un nom pareil, c'est presque de la provoc' que de se promener ici. Il faudrait un truc moins voyant, plus discret, quoi. Elle fait des essais : Verte-Neige ? Non, c'est mauvais pour le teint... Rouge-Neige ? Non, ça fait trop coco, et on sait comment ils ont fini... Jaune-Neige ? Non, ils seraient capables de l'appeler "bol-de-riz"... Non, non, non et non. Il faut quelque chose de plus neutre, de plus passe-partout, plus "latino" peut-être ? Ah ! Ca y est, elle a trouvé : "Monica-Neige"!!!! Ca, ça sonne bien ! Plus personne ne voudra l'appeler "gringa" avec un nom pareil... Indiana a la canine sceptique. "Et pourquoi pas "Jeannie-Neige", mon amour ? "... ... ... "PARCE QUE!!!!!"
La nuit passe ; les vélos sont tout propres (ô joie de la gadoue engluée nettoyée chaque jour...) et dorment. Indiana rêve aux cowboys et aux indiens ; Monica-Neige rêve de château en Italie.
Au réveil, il pleut. Ah bon ?
Et on repart. Les souliers crottés se gargarisent du nouveau bain de fange. Sur le bas-côté, les cochons rient de bonheur en voyant de nouveaux adeptes. Deux-cent mètres sur le vélo, deux cent mètres à côté. On pousse, on glisse, on schplok, on cherche le bon itinéraire. On avance. Un peu. Devant nous, un camion est embourbé. On s'appuie sur sa carcasse pour passer le mur de boue qui l'entoure. On souffle. On s'encourage. On se décourage. Beaucoup. A peine vingt kilomètres en deux heures... Il en reste cent. A force de soupirs songeurs, Indiana a presque la tête d'un philosophe... Blanche-Neige s'inquiète. Alors, quand un 4X4 arrive, on espère ! Et on tend le pouce ! Les policiers s'arrêtent : "Si vous voulez, on peut vous déposer jusqu'au prochain village ?" Il faudrait être idiots, ou alors de vrais super-héros, pour refuser. On vire le chien de la remorque, et on y met vélos, sacoches, et héros de pacotilles. Et là...
C'EST LE DRAME !
Nous sommes tombés sur un chauffeur fou, tout droit sorti des Studios Pixar !!! Il croit que son 4X4 est un bolide super sonique, et fait fi de tous les nids de poule (qui sont plutôt des nids de tyrannosaures d'ailleurs...)! Blanche-Neige s'agrippe à son Capitaine, et les deux sursautent, se cassant le coccyx sur la tôle... La princesse pleure de panique en voyant la route défiler à une vitesse supranaturelle, et Indiana se tient la sixième vertèbre : ce serait quand même ballot de la perdre après tout ça... Reste plus qu'à prier le lion à six ailes, on sait jamais, on a vu des miracles partout. Et puis, merde à la fin, les contes de fées, ça ne peut pas se finir comme ça !
Les fées susmentionnées ont dû nous entendre, et, par souci du travail bien fait, ont validé le miracle. Nos deux héros descendent du bolide en titubant, plus ivres qu'après une soirée d'étudiants en droit.
Ouf.
Il reste donc 70 kilomètres. Que nous ferons à vélo. Dans la gadoue, mais en vie. Ca tombe bien, parce que maintenant, la route monte... quelques neuf-cent mètres de dénivelé à se cogner. Bagatelles !
En haut du sommet, nous nous arrêtons manger. L'appel du ventre, toujours. Là, quelques femmes et un bambin. Pas de "gringo" à l'horizon. Ah, si, quand même, un groupe d'adolescents avec la bêtise propre à leur âge : "fjdkqslmogidqhjo, Gringo!, jdqeisqnioenfioa, Gringa !" Mais bien sûr... Nous mangeons donc. Le riz blanc de midi. Mmmmmmmmmmmmm.... Puis, allez savoir pourquoi, les femmes ont envie d'être gentilles, et commencent à nous parler. D'où on vient, tout ça, tout ça. Enfin, les choses sérieuses commencent : "Vous voulez pas emmener la petite avec vous ?". Les Jones se regardent, dubitatifs. C'est une blague ? Mais la Péruvienne n'a pas l'air de rire. Et finalement, nous non plus. Elle réitère la question ; nous faisons "non" de la tête ; et mangeons notre riz blanc. Piètre consolation de la misère humaine.
Le lendemain, Blanche-Neige et Indiana recevront d'autres propositions, se feront appeler "gringo, gringa" cent fois par heure, feront deux, trois leçons de savoir-vivre, commenceront à comprendre ce que veut dire "harcèlement moral", entameront deux, trois discussions, perdront de l'énergie pour rien, glisseront dans la boue, perdront de l'énergie tout court, descendront deux milles mètres d'altitude en 5 heures, éviteront de justesse les chiens qui leur mordent les sacoches, et finalement, péteront les plombs. Car ce ne sont pas de vrais super-héros. Et que s'il y a bien quelque chose d'insupportable sur cette basse terre, c'est la bêtise humaine.
Bref, à l'heure qu'il est, nos deux héros en toc sont avachis sur le lit d'un petit hôtel, ils ont les yeux qui piquent et les chaussettes mouillées. Mais ils gardent espoir, parce que, vous savez quoi ? Sur la couverture du lit, il y a un lion à six ailes...
5 commentaires:
Hola les Grrrrrrrrrr...............!!!
Et bien! Quelle aventure! On compatit pour les gringo/gringa... pas facile... Par contre, pour les jets de pierre, on nous en avait parlé, et on avait du mal à y croire!
Dur! Courage, on est derrière vous!!!!
Suerte!!!
Les 2S
superbement écrit !!!
pourquoi ils t'ont pas filé la mention très bien au bac ??
Mama
ciao belli,
Eh benh... suis désolée pour vous. Je ne sais pas ce qui est le plus dur... Le racisme sans doute. Moi qui pensais que la blancheur était source de pureté. Coràggio !
Vivement la Paz... Avec un tel nom, on peut espérer que le ciel soit plus accueillant !
bises
sara
quelle aventure!
vous en aurez traversé des épreuves...
je vous dis un sincère "courage!" et toute mon admiration.
mais que Guillaume prenne soin de sa vertèbre et Rachel de son teint. !
allez, reprenez des forces et ... repartez.
à bientôt
Christine
Merci a vous tous pour vos encouragements!!! Ça fait chaud au coeur. D´ailleurs le soleil est revenu, et cela fait 4 jours qu´on se regale au milieu de cactus et de montagnes fabuleuses.. A bientot en images sur le blog! On vous embrasse tous.
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