Mi-janvier 2009. Honduras/Nicaragua : Les cendres de la misere...



Nicaragua... pays des volcans et des lacs.
La route s'allonge et s'incline devant le roi. Il trône et domine. Dans toute l'élégance de sa majesté. Quelques nuages impertinents le frôlent, bien vite dissous par la fumée qui émane de son corps. Le Volcan-Roi respire. Il se contente d'être. Nous n'existons pas au coeur de cette plaine soumise. Il ne voit rien le volcan. Flegmatique, il courtise de temps à autre l'étendue d'eau qui lui baise les pieds ; mais il ne voit rien. Il ne voit pas la lave qui a séché ; il ne voit pas la poussière qui s'en est dégagée ; il ne voit pas les cendres de la misère.
Nous, nous roulons dessus.
Car ni le Honduras, ni le Nicaragua ne resteront gravés en nos coeurs comme des paradis de nature. De l'azur des lacs, nous n'avons vu que les abysses. Un tour au tréfond du désespoir.
Le désespoir ne se lit même plus sur le visage de Nelson. Aucun alphabet à déchiffrer sur ses traits fatigués. Nelson nous accueille d'abord. Sans hésiter. Puis il nous raconte. Simplement ; comme on raconterait un état de fait. Sans fioritures ni ornement. Ce n'est pas beau de toutes façons.
Il y a trois mois, Yolanda, son épouse, a pris la route du Nord. Celle du "green-go" : celle qui vous mène tout droit à l'or vert. Mais voilà, Yolanda n'est pas revenue. Le Nord-Espérance n'a pas voulu d'elle. Mais les fils de la Puta Madre (1) , si : Yolanda est séquestrée. Elle "vaut" maintenant 3500 dollars. Sale ironie de billet vert. Dans son désespoir, Nelson a voulu faire appel à Interpol. Puis a renoncé : les policiers mexicains, si "internationaux" soient-il, sont des alchimistes capables de changer le sang en or. Et le sang de Yolanda pourrait bien faire l'affaire... alors. Alors, voiture vendue et maison hypothéquée, Nelson attend. Sur les 3500 dollars, il en a déjà trouvé 2000. Il ne pleure plus, il attend. Il porte machinalement la main sur son téléphone. A côté de lui, deux de ses garçons fabriquent des hélicoptères avec des feuilles de bananiers. Le dernier nous sourit. Un sourire triste, comme seuls les enfants savent les faire. Un sourire d'enfant, avec un regard d'adulte. Un sourire de vie, parce qu'enfin, il faut bien vivre.
Nous tâchons de sourire nous aussi. Nous nous demandons qui nous sommes dans cette histoire. Des passeurs, sans doute, à notre tour. Nous avons de nouveau ouvert notre sac de vies. Nous commençons à le trouver lourd. Mais nous sommes là, et Nelson nous parle. Ce n'est pas rien.
Un peu plus loin, sur notre route, nous rencontrons une mère baignée de larmes (2), ivre d'avoir vu mourir deux de ses fils. Plus loin encore, des enfants qui s'accrochent aux planches mal cloutées de leur taudis.
Les cendres de la misère nous brûlent.
Et l'eau des lacs ne suffit à les éteindre. Sur cette route de lave et de poussière, aucun homme n'arrose notre chemin d'eau fraîche. Les enfants hurlent : "Gringo!", "Gringa!" ; les hommes me sifflent et me harcèlent de faux baisers et de faux mots doux. "My baby", "Sweety", "Sexy", "I love you".
Des gouttes d'huile sur notre feu intérieur. De la soude sur notre révolte.
Révolte contre un pays qui ne porte aucun secours à Nelson.
Révolte contre un pays qui laisse son peuple dans la lave séchée. Dans l'ignorance. Cette mère de tous les vices.
Alors le roi peut bien trôner, là-haut. Nous savons maintenant que son règne repose sur des cendres !

(1) Voir l'article : "De la Sierra à l'Altiplano"

(2) Voir "Galerie de portraits", "Lijia : mère baignée de larmes"


2 commentaires:

Rondeau Family a dit…

j'ai hate de vous retrouver pour approfondir toutes vos impresions
j aimerais tant etre avec vous
monique

Rachel et Guillaume a dit…

Nous aussi on a hàte de vous retrouver!!!! Ça fait plaisir de savoir que vous nous suivez!