3 decembre - Oscar le clandestin

Oscar le clandestin

Sanchez Magallanes est un petit village de bord de mer. Une route principale débouche sur un pont reliant les lagunes voisines. Une route principale et sa déclinaison de petits commerces, de maisons de couleurs, de places où les enfants jouent et où les enfants les regardent.
Alors que nous cherchons de l'eau, nous tombons sur une petite boutique de cycles. Disons plutôt sur un atelier de réparation. Car, depuis que la route est plate, les vélos se font moins rares. Ils ont d'ailleurs souvent trois roues, et deviennent de vrais taxis-carosses pour qui veut bien les emprunter. La ville est ainsi rythmée de leurs incessants allers-retours. On tente alors notre chance, et on se dit que, peut-être, le mécanicien du coin pourra réparer la roue avant de Guillaume, qui commence à nous inquiéter sérieusement. Oscar prend le temps de regarder, nettoie ce qu'il y a à nettoyer, graisse ce qu'il y a à graisser. Le problème, c'est que la pièce à changer n'est pas des plus communes... Nos bicyclettes sont des ovnis roulants ici, et les outils de notre garagiste ne sont pas appropriés. On pourrait bien essayer avec un marteau, mais... Mais le Capitaine Haddock grimace. Alors, faute de pouvoir faire la réparation, on commence à discuter. Et les mêmes questions reviennent : "D'où venez-vous ? Où allez-vous ? Et vous faîtes tout ça en bicyclette ?!" Mais Oscar s'intéresse vraiment. Il s'inquiète aussi. Et nous enquiert de ne pas nous aventurer dans la lagune : il y a trop de moustiques, et la désormais trop fameuse malagente rôde. Mais lui, il a sa maison juste à côté, et, si on veut, on n'a qu'à venir manger et dormir... Qu'il est bon ce moment où l'on sent que les verrous sautent et qu'une porte s'ouvre.
Et c'est une nouvelle porte de vie qui s'ouvre. L'histoire d'un couple et l'histoire d'une famille. L'histoire d'un homme qui, pour s'assurer le bonheur, a trouvé le malheur. L'histoire d'un clandestin comme il y en a tant d'autres sans doute au Mexique.
Lorsque Oscar et Bérénice se marient, ils sont très jeunes, encore à l'âge des rêves inaccomplis. Et le rêve ici, revêt les couleurs américaines et a l'odeur de l'argent. Le premier enfant arrive, Jésus. On est heureux, oui. Mais... le bonheur serait complet si on avait une maison, une machine à laver, un grand frigo, peut-être même une voiture. On se prend à rêver de nouveau... Et Oscar n'a pas peur : il pense que ce bonheur, il peut aller le chercher. Là-bas, de l'autre côté de la frontière. Pas longtemps, juste le temps de vivre de l'odeur du dollar. Oscar sera tantôt pâtissier, tantôt maçon. Et toujours exploité. Il traversera la frontière trois fois en dix ans, se fera ramener une fois par la police américaine, et passera sept années entière loin de sa femme, et des enfant qu'il lui a fait à chacun de ses retours.
La voiture est dans le jardin, le frigo trône dans la cuisine, à côté du sèche-linge et de la machine à laver, et Oscar est rentré au village il y a deux mois. Epuisé et rongé. Bérénice est à ses côtés. On sent qu'elle a souffert. Qu'elle n'en peut plus de cette vie sans son homme. Que le bonheur, ce n'est pas ça. Et il faut reconstruire à présent, il faut panser les blessures. Il faut se parler à nouveau, se regarder à nouveau. Oscar nous montre, excité et ému, les photos de sa vie : celles de son mariage, mais aussi celles de cette grande manifestation écologique, où, à dix-huit ans, il s'est rendu à pieds à Mexico. Celles de sa première neige aussi. Les images défilent. Et Bérénice regarde les photos avec nous. Et c'est un peu sa vie qu'elle regarde avec nous. Comme un miroir que l'on tend après une opération difficile. On s'aperçoit que les cicatrices commencent à bien se refermer, et que peut-être, même, elles finiront par ne plus se voir. Alors, on se prend à rêver de nouveau. Avec nous, à table, Jésus, âgé maintenant de quinze ans, écoute. C'est son histoire à lui aussi. Une pointe d'admiration semble s'élever vers ce père si courageux. Et on s'étonne devant la maturité de cet adolescent, qui se comporte comme un homme, et se fait obéir de ses deux jeunes frères.
La soirée se termine, et nous installons nos matelas dans l'atelier. Le ventilateur tourne. Et nos pensées aussi...

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